Affaire Vincent Lambert : alimentation et hydratation maintenues

Décision de justice
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Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne suspend l’exécution de la décision du 11 janvier 2014 par laquelle le centre hospitalier régional universitaire de Reims a décidé d’interrompre l’alimentation et l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert.

RAPPEL DES FAITS

 

M. Vincent Lambert, âgé de 38 ans, infirmier en psychiatrie, a été victime, le 29 septembre 2008, d’un accident de la route qui lui a causé un traumatisme crânien. Il est demeuré en coma végétatif avant d’évoluer en état pauci-relationnel. Il a été pris en charge en juin 2009 par le centre hospitalier universitaire de Reims, à l’unité d’hospitalisation de soins palliatifs, dans une sous-unité de soins de suite et de réadaptation, qui accueille des patients en état pauci-relationnel.

M. Lambert est aujourd’hui un patient tétraplégique consolidé souffrant de lésions cérébrales graves et se trouvant en état pauci-relationnel.

Ayant, fin 2012, interprété certains signes comportementaux manifestés par M. Lambert comme des refus de soins, l’équipe médicale s’est interrogée sur les suites à donner au traitement de M. Lambert et a mis en place au début de 2013 une procédure collégiale, associant son épouse qui a débouché, le 10 avril 2013, sur la décision d’interrompre l’alimentation de M. Lambert et de réduire son hydratation à 500 ml par jour. Une première ordonnance a été rendue le 9 mai 2013 par le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne administratif saisi par les parents, un demi-frère et une sœur de M. Lambert, qui enjoignait au centre hospitalier universitaire de Reims de rétablir l’alimentation et l’hydratation normales de M. Lambert et de lui prodiguer les soins nécessaires à son état de santé, des manquements procéduraux à la procédure collégiale définie par l’article R. 4127-37 du code de la santé publique caractérisant selon cette décision une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

La procédure collégiale prévue à l’article R. 4127-37 du code de la santé publique a alors été relancée par l’équipe médicale et deux conseils de famille ont eu lieu les 27 septembre et      16 novembre 2013, précédant la réunion collégiale, qui a eu lieu le 9 décembre 2013. Le       11 janvier 2014, le chef du service où est accueilli M. Lambert a fait part de sa décision d’interrompre les soins de nutrition et d’hydratation artificielles à compter du 14 janvier 2014, date permettant de prendre en compte l’éventualité de tout recours juridictionnel.

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a été saisi le 13 janvier 2014 par les parents de M. Vincent Lambert, ainsi que l’une de ses sœurs et un demi-frère d’un recours dirigé contre la décision prise par l’équipe médicale du Centre Hospitalier de Reims d’interrompre l’alimentation et l’hydratation de leur fils frère et demi-frère. Il a, au cours de l’audience qui s’est tenue le 15 janvier 2014, examiné la question de la poursuite d’actes médicaux prodigués à un patient en situation de dépendance extrême, en interprétant les dispositions du code de la santé publique introduites par la loi du 22 avril 2005, dite « loi Léonetti ».

Les parents de M. Lambert ont, ainsi qu’ils l’avaient fait une première fois le 9 mai 2013, saisile juge des référés-liberté. Le président du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a toutefois, pour examiner un litige normalement tranché par un juge unique et en raison du caractère très particulier d’une question à laquelle ni les juridictions du fond, ni le Conseil d’Etat n’ont encore eu l’occasion de se prononcer, décidé que ce serait une formation collégiale élargie qui serait appelée à juger.

1. Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a d’abord décidé que, contrairement à ce que soutenaient les parents de    M. Lambert, les dispositions du code de la santé publique introduites par la loi Léonetti s’appliquaient à la situation de Vincent Lambert.

1.1. Il a d’abord écarté les arguments tendant à faire juger que la loi Léonetti serait contraire au droit européen et en particulier à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

D’une manière générale, en effet, la loi Léonetti est une loi de santé publique et ne saurait, quand bien même certaines de ses dispositions ont pour objet de guider et d’encadrer le comportement des équipes médicales confrontées aux souffrances extrêmes, à l’utilité de poursuite des traitements et donc à la question de la fin de la vie, être assimilée à une loi pénale. Aussi, les exigences que fait valoir la convention à l’égard des textes de nature répressive ne trouvent-elles pas à s’appliquer d’une manière identique au code de la santé publique et les arguments tirés de leur méconnaissance ont, par conséquent, été écartés par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

1. La loi Léonetti s’applique à la situation de M. Lambert

1.2 Il a ensuite estimé que le seul intitulé d’une loi et des subdivisions du code de la santé publique, certes relatives « auxdroits des malades et à la fin de vie » ne faisait pas obstacle à son application à la situation de M. Lambert.

Si Vincent Lambert, en effet, n’est ni en fin de vie, ni au sens strict malade, il n’en reste pas moins, selon le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, que le caractère très général des dispositions qui doivent être combinées des articles L.1110-5 et L. 1111-4 du code de la santé publique,  généralité qui se déduit à la fois du texte même de ces articles, de leur positionnement dans l’architecture générale du code de la santé publique, et des travaux parlementaires, conduit à englober l’état de M. Lambert dans le champ d’application de la loi Léonetti.

2. L’alimentation et l’hydratation artificielles de M. Lambert constituent un traitement au sens du code de la santé publique

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, en deuxième lieu, a estimé que les opérations d’alimentation par voie entérale et d’hydratation de M. Lambert, mise en œuvre par voie chirurgicale, présentant un caractère  intrusif, constituaient bien un traitement et non un simple soin au sens de la loi, au sujet duquel l’équipe de l’unité de soins du CH de Reims avait, par conséquent, légalement pu s’interroger sur la question du caractère déraisonnable ou non de sa poursuite.

Cette position prend en compte les conclusions de l’étude adoptée par l’assemblée générale plénière du Conseil d’Etat du 9 avril 2009, ainsi que l’avis n° 87/2005 du Comité consultatif national d’éthique, du rapport de M. Léonetti devant l’assemblée nationale  (« Comme l’ont montré les travaux de la mission d’information, l’alimentation artificielle est en effet aujourd’hui considérée comme un traitement par des médecins, des théologiens et par plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe… »), du rapport de 2008 sur l’évaluation de la loi, de la circonstance qu’un amendement débattu devant le Sénat qui prévoyait d’ajouter à l’article L.1110-5 un alinéa qualifiant « l'alimentation et l'hydratation, même artificielles » de « soins minimaux, ordinaires, proportionnés dus à la personne et qui ne peuvent être considérés comme des actes médicaux. » avait, après un débat animé, été rejeté par la Chambre Haute.

Elle est comparable à celle de la Cour suprême des Etats-Unis ( 25 juin 1990, Cruzan v. Director, Missouri Depart. of Health ou 18 mars 2005, Terri Schiavo) de la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni, dans l’affaire Airedale NHS Trust v Bland, du 4 février 1993, ou de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation italienne, dans l’affaire Eluana Englaro du      16 octobre 2007.

3. Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que c’est à tort que le CHU de Reims avait considéré que M. Lambert pouvait être regardé comme ayant manifesté sa volonté d’interrompre ce traitement.

Selon la décision du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, l’équipe médicale devait alors se poser successivement deux questions : celle de savoir quelle était la volonté de M. Lambert et, dans l’hypothèse où celle-ci ne pourrait être déterminée avec un degré suffisant de certitude, si la poursuite du traitement constituait ou non une obstination déraisonnable au sens du code de la santé publique.

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que le contenu de la volonté de M. Vincent Lambert ne pouvait être déterminé avec un degré de certitude suffisant.

Celui-ci n’avait pas rédigé de directives anticipées au sens de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, ni désigné la « personne de confiance » prévue par l’article L. 1111-6 du code.

La famille et les proches de M. Lambert ayant à ce sujet des avis opposés, l’équipe médicale ne pouvait que tenter de dégager la volonté du patient à partir de ses déclarations ou prises de position antérieures à l’accident et à partir de son comportement actuel.

Or, le contenu de cette volonté ne peut que très difficilement se déduire de gestes ou de comportements qui, tout en pouvant être interprétés comme des refus de soins de la part de  M. Lambert, ou des attitudes laissant suspecter un refus de vie, peuvent également, selon d’autres experts et les parents de M. Lambert, se comprendre au contraire comme manifestant une volonté de s’accrocher à la vie.

L’équipe médicale a également pris en compte le souhait de ne pas être dépendant qu’aurait exprimé M. Lambert avant son accident, à plusieurs reprises, lors d’un repas de famille, ou avec son épouse et l’un de ses frères.

Mais cet élément semble également fragile, exposé au risque de surinterprétation par les soignants ou les proches ; le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé du 30 juin 2013, dans son avis n°121, exprimait la difficulté à parvenir à une certitude quant au désir réel d'une personne, lorsqu’elle est réellement placée devant un tel choix, les personnes qui accompagnent ou soignent des patients atteints de graves maladies ou très âgés témoignant de la variabilité extrême des demandes d’anticipation de la mort.

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne estime que le contenu de la volonté actuelle de M. Lambert ne peut être déterminé avec un degré suffisant de certitude et dès lors, il doit être regardé comme étant hors d’état d’exprimer sa volonté au sens de la loi du 22 avril 2005.

4. Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a jugé que  la poursuite du traitement n’était ni inutile, ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie et a donc suspendu la décision d’interrompre le traitement.

La question de savoir si le maintien de l’alimentation et de l’hydratation de M. Lambert peut être regardé comme une « obstination déraisonnable » à poursuivre un traitement se pose alors.

Là encore, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a donc examiné la légalité de la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims au regard des critères d’appréciation posés par le code de la santé publique pour estimer que ceux-ci n’étaient pas satisfaits.

La notion d’obstination déraisonnable se substitue à celle d’acharnement thérapeutique. Elle est, pour l’essentiel, appréhendée par le code de la santé publique et le code de déontologie médicale à travers trois critères : les actes ne doivent être ni inutiles, ni disproportionnés ou n'avoir pas pour seul but le maintien artificiel de la vie.

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que s’agissant d’un patient en état pauci-relationnel pour lequel ne peut être exclue l’existence d’une activité émotionnelle au-delà du simple réflexe organique, la poursuite des soins et des traitements n’a alors pas pour finalité le seul maintien artificiel de la vie biologique, mais a pour objectif de pallier une défaillance vitale, à l’instar d’une dialyse.

S’agissant du caractère inutile des soins, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne juge que ce critère n’est pas rempli dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’aucune vie relationnelle n’est possible à ce jour ou ne serait possible dans l’avenir, nonobstant le caractère irréversible de l’état neurologique de M. Lambert qui se dégraderait lentement, sans qu’aucune perspective de guérison ne soit, dans l’état des avancées médicales actuelles de la science, envisageable.

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a estimé qu’en l’espèce, l’affirmation du caractère inutile de la poursuite du traitement impliquait nécessairement que l’utilité fût mesurée au regard de la qualité de vie, une telle appréciation revenant à porter un jugement sur le sens de la vie du patient, débat qui ne saurait trouver sa place en droit devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

La décision du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, enfin, écarte la thèse de la disproportion du traitement : si la possibilité de la souffrance de M. Lambert n’est pas exclue par les médecins dont les rapports font état de possibles douleurs, rien ne permet d’établir que la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation conduirait à davantage de souffrance pour  M. Lambert.